Les methodes
L'Hypnose
Lhypnose est un état de conscience particulier encore mal défini; connue depuis la plus haute antiquité, elle a été et reste entourée dun halo de mystère auprès du grand public, pour qui elle revêt une apparence magique exerçant à la fois un effet dattraction et de crainte Malgré les études expérimentales qui ont été entreprises depuis la fin du XVIIIe siècle, sa nature profonde na pas encore été dévoilée. Mais certaines de ses manifestations sont maintenant mieux comprises par les chercheurs. La relation entre lhypnotiseur et lhypnotisé représente, en effet, la forme la plus ancienne de la relation psychothérapique. La psychanalyse sest édifiée en bonne partie sur létude et la critique de cette relation; elle la, à son tour, rendue plus intelligible en permettant dentrevoir les lois qui la régissent. Létat hynoptique lui-même, qui est spécifiquement de nature psychophysiologique, puisquil se situe à un carrefour entre le corps et lesprit, constitue un riche terrain dobservation.
Après une longue éclipse, lhypnose paraît constituer à nouveau un objet dactives recherches scientifiques. Ce regain dintérêt se manifeste dans différents domaines de la connaissance, notamment en psychanalyse, psychologie, philosophie et sociologie
Les théories en présence Les théories sur lhypnose se répartissent en trois tendances, inspirées respectivement par la physiologie, la psychologie expérimentale et la psychanalyse.Les théories physiologiques sont centrées sur les rapports entre le sommeil et lhypnose considérée par les pavloviens comme un sommeil partiel. Dans le sommeil normal, lécorce cérébrale est inhibée, mais cette inhibition laisse pourtant subsister des "points vigiles" qui permettent une communication élective avec lextérieur; ainsi une mère profondément endormie, qui ne réagit pas à des bruits intenses, peut être réveillée par les faibles pleurs de son enfant. Dans lhypnose, il se crée artificiellement des "points vigiles" qui rendent possible la communication entre le sujet et lopérateur. Cet état de sommeil partiel, intermédiaire entre le sommeil et la veille, comporte des phases hypnoïdes, ou phases de suggestion, pendant lesquelles diverses modifications physiologiques, impossibles dans létat de veille, peuvent se produire. Pour les pavloviens lexistence des "points vigiles" est confirmée par lexpérimentation en physiologie animale: un chien conditionné à un son de trompette accompagnant lapparition de la nourriture se réveille seulement à ce son et demeure insensible aux autres bruits, même plus intenses.
Mais il paraît difficile de transposer à lhomme les résultats dexpériences faites sur ces animaux; en effet, le langage, comme ladmet Pavlov lui-même, ne saurait être assimilé à un stimulus physique. Dautre part, lassimilation de lhypnose au sommeil na pu être confirmée par des tracés électro-encéphalographiques. Dans les années soixante-dix en U.R.S.S., le nombre de partisans de cette théorie a nettement diminué.
Labsence de signes physiques dans lhypnose a fait abandonner la théorie somatique de Charcot au profit de celle de Bernheim, daprès laquelle tout est suggestion. Partant de ce point de vue, les psychologues expérimentaux, notamment C. L. Hull aux États-Unis vers 1930, se sont attachés à étudier la suggestibilité qui, pour lessentiel, serait une forme d"apprentissage"; lhypnose allait perdre en quelque sorte sa spécificité. Mais, par la suite, ces chercheurs se sont trouvés obligés dadmettre que la suggestibilité ne doit pas être confondue avec lhypnose quelle accompagne selon des doses variables. Dinnombrables travaux sont en cours aux États-Unis pour trouver des signes spécifiques du comportement des sujets hypnotisés. En éliminant, suivant Orne, les "artefacts" qui seraient le produit des influences socio-culturelles dune époque et des éléments communiqués consciemment ou inconsciemment par lhypnotiseur, on devrait arriver à cerner l"essence" même de lhypnose.
Laptitude dun sujet à être hypnotisé est un problème qui préoccupe spécialement les psychologues expérimentaux. On distingue en gros trois stades dans la transe hypnotique: transe légère, moyenne et profonde. Il existe relativement peu de sujets (environ 1 p. 100 de la population) qui soient capables dentrer en transe profonde, dite "somnambulique", dans laquelle lhypnotisé peut garder les yeux ouverts, se mouvoir et se comporter apparemment comme dans son état habituel, mais répond docilement aux suggestions qui lui sont faites. Parmi ces derniers sujets, il en est qui sont capables de subir des interventions chirurgicales sans laide daucun agent chimique, dautres chez qui lon peut produire des brûlures au deuxième degré par suggestion (vésication). On na pas trouvé de corrélation entre la réceptivité à lhypnose et la constitution physique et psychique des individus (caractère extraverti ou intraverti, race, sexe, statut social, niveau intellectuel). Létude du comportement superficiel ne suffit pas pour élucider ce qui reste encore un mystère, et certains des psychologues expérimentaux, E. R. Hilgard en particulier, reconnaissent la nécessité de prendre en considération lhistoire du sujet et ses motivations inconscientes. Par là souvre le dialogue avec les représentants de la psychologie des profondeurs.
La théorie psychanalytique de lhypnose a subi une évolution depuis Freud. À lorigine, létat hypnotique était interprété en fonction des désirs instinctuels du sujet. Tout était centré sur le transfert, cest-à-dire sur le fait quun sujet peut reporter sur un autre, dans le présent, les sentiments quil a éprouvés à légard de ses parents dans sa petite enfance; en loccurrence lhypnotisé, par un phénomène de régression psychologique, transfère sur lopérateur une attitude de soumission et dobéissance absolues. Le concept de transfert a permis de comprendre le contexte relationnel de lhypnose et son utilisation thérapeutique, mais non lessence même du mécanisme hypnotique. Par la suite, à côté des forces pulsionnelles en jeu, on a pris en considération la dimension corporelle, sensori-motrice, cest-à-dire la possibilité dobtenir lhypnose non seulement par une action "psychologique" mais par une action "physique" impersonnelle exercée sur le corps du sujet, donc sans transfert. On en est ainsi arrivé à une nette distinction entre le processus dinduction et létat hypnotique lui-même qui sont dissemblables, tant du point de vue psychologique que du point de vue physiologique (Kubie et Margolin, 1944).
Linduction pouvant être opérée dans certains cas sans processus relationnel apparent, le rôle du transfert dans létat hypnotique est controversé. Pour M. Gill et M. Brenman (1959), le transfert est un élément constitutif de lhypnose, tandis que pour Kubie (1961) ce nest quun épiphénomène qui peut apparaître ou non. Daprès ce dernier auteur, la spécificité de lhypnose ne se situe pas uniquement sur un plan purement phychologique, elle est dessence psycho-physiologique. Lhypnotisé finit par se confondre avec lhypnotiseur; ils paraissent "sengloutir réciproquement". Quand son mécanisme sera connu, elle sera daprès lui "lun de nos instruments essentiels pour létude du sommeil normal, de létat de veille normal et de linteraction continuelle entre processus normaux, névrotiques et psychotiques".
Il existe plusieurs techniques dinduction qui varient avec lopérateur et sadaptent à la personnalité du sujet. Toutefois, certaines conditions sont généralement requises, en totalité ou en partie:
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diminution ou exclusion des stimulations extérieures, de manière à créer une ambiance favorable à la détente et au sommeil du sujet en position assise ou allongée; |
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fixation de lattention, soit par un objet, soit par un groupe didées; la fixation par le regard ou la fascination, bien connue du public des music-halls, relève du folklore et nest pas utilisée par les chercheurs; |
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stimulations auditives: lopérateur répète les suggestions dune voix monotone; le ton autoritaire employé autrefois a fait place à une approche plus souple adaptée aux différents cas; |
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létablissement dun "rapport" cest-à-dire dune relation de confiance entre le médecin et le malade, surtout si lhypnose doit être utilisée dans un but thérapeutique. |
Laction thérapeutique de lhypnose sopère généralement par voie
verbale, mais peut également sexercer par voie non verbale. Le seul fait, pour le
malade, de se trouver sous hypnose sans lintervention parlée de lopérateur
lui est parfois bénéfique, dans certains cas privilégiés. On fait ainsi des séances
dhypnose prolongée agissant comme une "cure de sommeil". Le mode
daction de cette technique sera interprété par les tenants de lexplication
physiologique (école pavlovienne) comme un effet physique bienfaisant produit par
une "inhibition restauratrice" des fonctions cérébrales. Les défenseurs de la
psychologie subjective parleront dun état de régression psychologique
particulière. Quelles que soient les théories, dans la pratique, laction
thérapeutique sopère généralement par la communication verbale: cette
communication se fait par des suggestions directes visant à la levée des symptômes
mais peut comporter également, surtout chez les auteurs russes, un caractère persuasif
et éducatif ayant pour but le reconditionnement du malade à des attitudes plus saines.
Le patient reste passif. Un autre mode dapplication de lhypnose qui suppose
une certaine participation de ce dernier, est la méthode cathartique (cest
elle qui a ouvert la voie à la psychanalyse). Grâce à elle, on fait revivre au patient
des émois refoulés, liés à des traumatismes, cette reviviscence pouvant amener la
disparition des symptômes. Signalons enfin lhypno-analyse, qui combine les
procédés hypnotiques et analytiques (association libre et interprétation). Cette
technique nest pas encore codifiée dans les détails, mais elle apparaît
prometteuse avec les derniers développements de la théorie psychanalytique qui vont
être indiqués
Il est apparu quil existait dans les différentes techniques un facteur defficacité lié à une bonne relation entre le médecin et son patient. On pourrait dire, en dautres termes, quil sagit là dun phénomène de suggestion. Sous ce nom, on a pendant longtemps vu uniquement la domination exercée par le médecin sur son malade au moyen dinjonctions verbales. Mais il existe aussi une forme de suggestion, plus importante, qui est, selon Freud, "un phénomène originaire quon ne peut réduire davantage, un fait fondamental de la vie psychique de lhomme". Cette suggestion indirecte, non délibérée, émane du patient: "Un facteur dépendant de la disposition psychique du malade influence, sans aucune intention de notre part, le résultat de tout processus thérapeutique introduit par le médecin." "Cette attente croyante", comme dit encore Freud, nest "ni dosable, ni contrôlable, ni intensifiable". Mais, grâce au transfert, elle pourra être maîtrisée, interprétée, résolue. Dans la perspective rationaliste de Freud, laffectif devait ainsi être intégralement pris en compte dans la relation, et sous le strict contrôle du cognitif.
Mais on sest aperçu, dans la suite, que la relation comportait un élément archaïque non accessible à la verbalisation. Depuis la dernière guerre mondiale, les travaux psychanalytiques ont mis de plus en plus laccent sur la relation mère-nourrisson, saisie au stade pré-langagier. Ils ont fait ressortir quelle joue un rôle crucial dans la psychopathologie future de lenfant et, corrélativement, dans le traitement. Pour celui-ci, linterprétation, processus intellectuel, devient moins importante que cette forme de communication affective intense, fusionnelle, symbiotique, que lon appelle lempathie.
Cette nouvelle perspective change quelque peu le rapport des termes dans la dualité traditionnelle: traitement "symptomatique" et traitement "causal". Dans certains cas, la réparation affective en profondeur, plus restructurante, correspondrait au causal, tandis que la prise de conscience, élément cognitif, se rapprocherait de lapprentissage et entrerait plutôt dans le symptomatique.
Lhypnose, nous lavons vu, offre un modèle privilégié dempathie. De sorte que, comme lannonçait L. Chertok (1965), la "psychanalyse, qui est issue de lhypnose et a permis de mieux la comprendre, peut se trouver éclairée par elle". Il y a là un étonnant renversement de situation si lon considère que la constitution de la psychanalyse a amené la mise à lécart de lhypnose. Or cest à propos dun concept fondamental de la psychanalyse que lhypnose a fait son retour. On tenait jusquici pour indubitable que le transfert avait éliminé lhypnose dans la relation médecin-malade. Mais François Roustang (1980) se demande si le véritable ressort du transfert nest pas identique à celui de lhypnose. Identité qui a été soupçonnée par Freud, tandis que ses continuateurs, y compris Jacques Lacan, ont rejeté toutes les questions sur ce sujet. De son côté, Octave Mannoni estime que, si Freud a fait entrer lhypnose dans la psychothérapie, "il la noyée sous laspect obscur du transfert".
Ce regain dintérêt pour lhypnose ne se manifeste pas seulement chez des psychanalystes. On le constate aussi chez des philosophes, en particulier René Girard, Jacques Derrida et ses disciples. Lun deux, M. Borch-Jacobsen (1982), relève que, chez Freud, le transfert et la suggestion sont une seule et même chose. Dès lors, lénigme qui entoure cette dernière contamine aussi le transfert et, par voie de conséquence, toute la psychanalyse. Cest le point de départ, chez le même auteur, pour une dé-construction de la philosophie du sujet. Dautre part, Serge Moscovici (1981) a remis au premier plan lhypnose comme "modèle principal des actions et réactions sociales". Il a tiré de loubli les travaux de Gustave Le Bon, qui prenaient lhypnose comme paradigme des influences relationnelles entre les masses et les meneurs. Il a montré comme Freud, dans son propre ouvrage sur la psychologie des foules (1921), sest insipiré de Le Bon, en même temps quil proposait de nouvelles explications de lhypnose faisant appel à des notions comme lidentification, la libido, le surmoi, la horde primitive, etc